vendredi 20 avril 2007

Sarkozy, nouveau père de la nation ?

Nicolas Sarkozy ou les vertus d’une cohésion nationale maximale
assortie d’une cohésion sociale minimale

Il n’aura échappé à personne que le candidat de l’UMP s’est depuis
quelque temps emparé du thème de la nation. Dans les discours de la
porte de Versailles, de Poitiers et de Saint-Quentin, la « France »
est invoquée à chaque ligne pour glorifier le caractère rassembleur de
Nicolas Sarkozy, par-delà les clivages partisans, les divisions
sociales et les grandes ruptures historiques. Réconcilier l’Ancien
Régime et la Révolution, magnifier en même temps deux mille ans de
christianisme et un siècle de laïcité républicaine, communier dans la
mémoire de Jaurès et dans le culte du Général, telle est la tâche que
le candidat de la droite s’est assigné contre une gauche accusée de «
communautarisme historique » et décrite insidieusement comme
antipatriotique.

L’utilisation du mythe de l’union nationale soulève d’abord un
problème de contexte. La plupart des événements évoqués par Nicolas
Sarkozy renvoient à des situations de conflit international ou de
guerre civile : les guerres napoléoniennes, l’affaire Dreyfus, les
deux guerres mondiales. La dramatisation de son discours historique
sous-tend que pour répondre à une situation de crise majeure il est
nécessaire que notre nation en appelle à un personnage providentiel
qui unisse la nation sous son égide. Mais cette description
parcellaire suppose que nous soyons aujourd’hui dans ce même type de
crise, que nous soyons face à un ennemi irréductible, que nous soyons
en guerre. Mais qui est l’ennemi d’aujourd’hui ? Où se cache-t-il ? A
Bruxelles, en Turquie, en Afrique ? Nul ne le sait, Nicolas Sarkozy, à
la manière des déclinologues, nourrit l’idée que lui seul serait
capable de traquer cet artefact néfaste et inconnu du vulgaire. Ainsi
se dessine une lecture de l’histoire de France empreinte d’un
messianisme réactionnaire qui arase les luttes, les rapports
productifs, les systèmes d’oppression pour ne chercher que des moments
où les tensions sont surmontées par un homme d’exception qui met fin
au cycle de changement sociaux et favorise « un grand renfermement »
conservateur.

Plus étonnant encore, Nicolas Sarkozy entonne un discours parfaitement
contradictoire entre sa volonté de rupture sociale et l’affirmation de
sa fidélité à l’histoire nationale. Il ne cesse d’en appeler aux
vertus protectrices et rassurantes de la nation, tout en défendant un
programme qui en saperait les fondements. La mise en place de l’école
gratuite, laïque et obligatoire, le développement des services publics
et de la protection sociale et la construction de mécanismes sociaux
et fiscaux de redistribution ont été des éléments majeurs dans
l’édification de la cohésion nationale. Or, Nicolas Sarkozy propose de
revenir sur la plupart de ces institutions du lien social pour créer
une société du « libre choix ». Une société hyperindividualiste, où
l’impôt sur les successions aurait disparu, où l’impôt sur le revenu
pour les tranches supérieures serait encore diminué, où une franchise
serait appliquée en matière de santé, où l’on travaillerait de nouveau
40 heures et plus, où certains salariés pourraient prendre leur
retraite à 70 ans. Cette république écornée formerait-elle encore une
nation telle que nos pères et mères l’ont connue ? Sarkozy finalement
en appelle à la nation pour mieux la fragiliser. L’invocation d’un
passé mythifié, sans aucun lien avec la réalité des expériences
vécues, se substitue à l’élaboration concrète et quotidienne de la
citoyenneté et de la solidarité. Jamais aucun peuple n’a pu rester uni
en communiant seulement dans la fétichisation d’un passé aseptisé et
dénaturé. Surtout, la cohésion nationale suppose de combattre les
inégalités sociales et non de les encourager.

Car, et c’est bien le plus inquiétant, le candidat de l’UMP veut
capter un héritage national pour le détourner. Jaurès ? Il en serait «
l’héritier ». Blum ? Il était de ces socialistes qui défendaient « la
valeur travail ». Mais combien Jaurès a-t-il dû batailler lorsqu’il
défendait la journée de 8 heures ou la progressivité de l’impôt !
Quelle opposition Blum a-t-il rencontré lorsqu’il a fait voter la
semaine de 40 heures et les deux semaines de congés payés ! Ces
conquêtes du mouvement social, sur lesquelles Sarkozy est si désireux
de revenir pour accomplir sa rupture libérale, ont été des moments
décisifs de l’intégration des classes ouvrières et populaires à la
nation. Travailler dignement sans être exploité, réduire le temps de
travail, augmenter les salaires et les pensions, favoriser les
protections sur une base de solidarité nationale, ont toujours été des
objectifs poursuivis par les socialistes. D’ailleurs, en 1942, à Riom,
la ligne d’accusation vichyste fut de vilipender Blum pour avoir
démoralisé la France et lui avoir fait perdre le « goût du travail »…

Donc, même durant le temps d’une campagne présidentielle, Nicolas
Sarkozy ne peut jouer avec l’histoire, qui fonde notre conception de
l’unité nationale sous l’égide de la République égalitaire. Il en va
du respect, de l’œuvre et de la mémoire des figures de la gauche
démocratique et résistante, il en va du respect de ces millions de
concitoyens qui aujourd’hui encore se sentent les héritiers d’une
pensée qu’on ne peut confisquer, même sur l’autel d’une ambition
personnelle au service de la prédation capitaliste.

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